Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sont nés en 1969 à Beyrouth. L’histoire de leur pays marqué par les guerres civiles s’inscrit au cœur de leurs recherches et imprègne profondément l’ensemble de leur œuvre. Dans une série de photographies témoignant de la violence des conflits (Bestiaires, 1997), des réverbères tordus sous l’effet des bombardements prennent ainsi l’apparence de bêtes étranges et inquiétantes. Plus loin, c’est une vue aérienne de Beyrouth qui nous interpelle (Le Cercle de confusion, 1997). Invités à prélever l’un des quelque 3000 fragments qui composent cette immense photographie, on découvre au dos de celui-ci une sombre inscription, terriblement riche de sens : « Beyrouth n’existe pas »… Chaque fraction retirée au cliché laisse alors apparaître un miroir qui réfléchit notre image. Face à cette transformation et cette désagrégation annoncée de l’œuvre, Beyrouth apparaît comme une ville en mille morceaux, à l’identité meurtrie et mouvante.
Offrir une visibilité à des images oubliées, effacées, voire inexistantes, voilà un autre enjeu central du travail de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. C’est ainsi que des pellicules jamais développées prennent délicatement vie, se donnent à « lire », grâce à la description écrite de chaque prise de vue. Si certaines de ces Images latentes (1997-2006) rendent compte de l’histoire politique du Liban, d’autres dessinent des moments suspendus, des instants plus fugitifs et intimes, aux accents poétiques : « Autoportrait, les lèvres toutes gonflées des baisers de A. », « Entre la bouche et l’oreille, une ride »… Parce qu’elles sont fantomatiques, presque disparues, les Images rémanentes (2003) d’un vieux film super-8 frappent quant à elles par leur fragilité. Habitées d’une force poétique renversante, elles renvoient au destin tragique de leur auteur, porté disparu depuis son enlèvement pendant la guerre.
Dans l’ensemble des projets artistiques et cinématographiques de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, il est question de notre rapport aux récits, aux images et à leur absence, à leur disparition. Qu’elles interrogent les traces laissées par l’Histoire, la division du monde actuel ou la virtualité d’Internet, leurs œuvres occupent un territoire à la frontière entre le visible et l’absent, la vie et la fiction, l’intime et l’universel.
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